« Comment donner corps à notre condition politique ? »
Entretien d'Éric Sadin, auteur de Faire sécession, avec Matthieu Delaunay sur Mediapart.
Après L’Ère de l’individu tyran. La fin d’un monde commun (Grasset, 2020), le philosophe Éric Sadin, contempteur de la télé socialité généralisée, donne à lire dans Faire sécession. Une politique de nous-mêmes (L’échappée), un texte époustouflant par son style et son allant. Entretien.
Dans L’Ère de l’individu tyran. La fin d’un monde commun, vous aviez posé un diagnostic implacable sur l’avènement de l’individu gonflé de lui-même, notre " isolement collectif " et l’avènement d’une situation d’ " ingouvernabilité permanente ". Qu’est-ce qui vous a fait entreprendre l’écriture de ce nouveau livre ?
Il est marquant de constater l’ampleur de notre désillusion à l'égard de la politique institutionnelle, tout en relevant, d’un autre côté, notre envie viscérale de continuer à tant attendre d’elle. Ce soudain engouement, nous le retrouvons à l’amorce de chaque campagne présidentielle. Et celle-ci est particulièrement emblématique de cette tension à la fois faite de perte d’adhésion et de secret espoir de voir de jours meilleurs advenir grâce à l’application de programmes supposés répondre aux maux du pays. Bien que la foi n'y soit plus, l’on voudrait malgré tout, et comme pleins de candeur, ignorer toutes les déceptions passées et de nouveau y croire.
Cet esprit paradoxal du temps m’a conduit à interroger ce que suppose la bonne expression de notre condition politique. Pour cela, j'ai développé une boîte à outils, une sorte de méthode faite de quelques modalités d'action à même de produire des effets dans le cadre de nos vies quotidiennes et de nous rendre, à divers titres, davantage agissants.
C’est dans ce sens, que vous en appelez d’abord à recadrer nos attentes à l’égard de la " grande politique " ?
Exactement. Il nous revient à la fois de remettre en question les attentes démesurées que nous entretenons à son égard, tout en insistant sur le fait qu’il est urgent de peser pour qu'elle réponde avant toute chose à ses prérogatives cardinales. Celles de se soucier avant toute chose de la qualité des services publics et des institutions – qui sont aujourd’hui en lambeaux – et de la bonne organisation de la vie en commun, loin des strictes logiques comptables qui en sont arrivées à vidé de sa substance le sens de l’action publique (...).
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