« Arthur Cravan ou les passions d'un fauve »
Recension d'Arthur Cravan, la terreur des fauves, par Tim Buron dans Les Lettres françaises (mars 2021).
Dès l’ouverture d’Arthur Cravan, la terreur des fauves, qui paraît aux éditions de l’Échappée, Rémy Ricordeau donne le ton : « cette publication n’a pas d’autre objectif que de restituer la charge subversive originelle de sa démarche ». Et en effet, que reste-t-il de cette insurrection permanente qui brûlait chez le dandy Cravan ? Représentons-le nous aujourd’hui dans les rues de Paris, le poète pitre et gaillard, apercevant si peu de « gais terroristes » aux alentours. Imaginons-le découvrir qu’ils sont désormais légions, les artistes, et qu’ils sont occupés à accrocher leurs mains frêles et froides au grand navire de l’Empire de la culture. Peut-être aurait-il encore la force de leur rire au nez, du grand rire de Jack Johnson. Peut-être descendrait-il sur une place, revolver au poing, pour leur mettre une « grosse astronomie au Théâtre des Variétés ».
C’est justement parce que Cravan est si terriblement flambant par son « inactualité » – dans ses points de tension et d’agitation – que le livre du cinéaste documentariste Rémy Ricordeau, tombe à point nommé : « au regard de l’artificialisation contemporaine de la vie sociale et de la culture, l’extrême modernité de son anti-modernisme qui lui faisait préférer la vie à sa réification et le corps à la cérébralité [...] se révèle en effet aujourd’hui plus pertinente encore » écrit-il. Si les frasques du « poète aux cheveux les plus courts du monde » nous sont contées dans la revue de presse concoctée par l’auteur en début d’ouvrage, il s’agit moins, ici, de présenter l’agitateur public bien connu que l’homme ; moins du Cravan de la conférence sur l’indépendance de Picabia/Duchamp et du « combat » contre Johnson à Barcelone que de l’Arthur – ou Fabian – de ses femmes et de ses passions.
Arthur Cravan, la terreur des fauves nous plonge dans son intimité comme nul autre ouvrage puisque sont ici notamment reproduites – et pour la première fois réunies – ses lettres à Renée Bouchet, Sophie Treadwell et Mina Loy dont Ricordeau fait ensuite le portrait. Si l’on sait que Cravan entretint une longue correspondance avec Bouchet, sa première épouse, il n’en reste malheureusement qu’un court billet sévillan, le reste ayant été brûlé par un mari jaloux. Ses lettres à Treadwell et Loy – « d’une sauvagerie lyrique sans doute jamais atteinte » souligne Annie Le Brun dans sa postface – dévoilent un Cravan amoureux, passionné, en proie au désir le plus féroce et aux humeurs les plus noires, loin de ses pitreries si fameuses : « si tu continues à te montrer aussi froide dans tes lettres, tu me feras complètement perdre la tête, car c’est dans la logique de l’amour et qu’il pleut à faire déborder les fontaines et que je viens de relire Nietzsche et que je ne puis m’empêcher de penser à tout le mal que je me donne pour atteindre à un bonheur positif au lieu de me contenter des plaisirs négatifs » [...]