« Angry Young Men : à bas l’Establishment ! »
Recension de Samedi soir, dimanche matin d'Alan Sillitoe par Julien Coquet sur le site Toute la culture.
Les éditions L’Echappée et Les Editions du Typhon mettent à l’honneur deux figures marquantes des Angry Young Men. Retour sur Samedi soir, dimanche matin d’Alan Sillitoe et Billy le Menteur de Keith Waterhouse.
Peu connu de l’autre côté de la Manche, le mouvement littéraire des « Jeunes hommes en colère » (Angry Young Men) essaima pourtant en littérature, au cinéma et en musique. Alors que The Smiths, Madness et Chelsea rendaient hommage à l’œuvre phare d’Alan Sillitoe avec leurs chansons « Saturday Night, Sunday Morning », le Free Cinema, un cinéma engagé et social, adaptait Billy le Menteur (John Schlesinger, 1963) et Samedi soir, dimanche matin (Karel Reisz, 1960). De ces œuvres issues du mouvement littéraire des Angry Young Men apparaît une véritable révolte contre la société anglaise post-Seconde Guerre mondiale. Ces jeunes écrivains, pour la plupart issus de la classe moyenne et du nord de l’Angleterre, faisaient le constat désabusé que le conflit mondial n’avait pas renversé l’Establishment et la société anglaise étriquée. Dieu, la famille, le travail et la nation étaient toujours portés aux nues.
Publié en 1958, Samedi soir, dimanche matin est un succès immédiat : le livre est aussitôt traduit en dix-neuf langues et l’adaptation cinématographique, deux ans plus tard, récolte trois BAFTA (les Césars anglais). Dans ce roman, on suit Arthur Seaton, 22 ans, habitant de Nottingham et promit à une vie toute tracée et sans échappatoire. La lumière au bout du tunnel s’apparente au samedi, soirée de débauche où les pintes s’enfilent dans des pubs surchargés. Les cadences infernales de l’usine aliènent le jeune garçon, qui habite encore chez ses parents. Son personnage, assez insupportable, le conduit à vouloir toujours plus sans aucune morale. Faisant cocu un collègue de travail, il couche aussi avec la sœur de cette amante, Brenda. Pour ce qui est des conséquences de ces actes, Arthur s’en accommode fort bien, forçant notamment Brenda à avorter. Le ciel est gris, l’écriture au couteau et la haine du système bel est bien là.
Plus léger, Billy le Menteur de Keith Waterhouse n’en est pas moins tout aussi percutant. L’humour qui s’en dégage rend peut-être même la critique de la société d’autant plus actuelle et légitime. Tout aussi jeune qu’Arthur Seaton, le héros du roman de Keith Waterhouse, Billy Fisher, s’ennuie ferme à son travail dans une entreprise de pompes funèbres. Son rêve ? Devenir comique. Mais, pour cela, il faudra à Billy du courage pour quitter sa ville natale. Et tout vacille le jour où il décide de tout plaquer et de rejoindre Londres pour travailler pour un humoriste, Danny Boon (sic). Là aussi, Billy est accompagné par un sentiment de passer à côté de sa vocation, d’appartenir à un système qu’il déteste. Son seul refuge consiste à s’échapper mentalement en Ambroisia, un lieu imaginaire où il mène la vie qu’il souhaite. Roman comique aux situations cocasses, porté par des angoisses profondes, Billy le Menteur constitue une autre œuvre phare des Angry Young Men.
Extrait de Samedi soir, dimanche matin :
« Quand on est un révolté, on le reste toujours. On ne peut pas s’en empêcher, on ne peut pas le nier. Et ça vaut mieux d’être un révolté, parce que ça leur fait voir que ça n’prend pas, leurs trucs pour essayer de vous avoir. Les usines, les Bourses du travail et les assurances sociales, c’est pour vous faire gagner votre vie et défendre vos droits – qu’ils disent ! Mais c’est jamais que des astuces qui vous enfonceraient dans des sables mouvants si vous ne restiez pas sur vos gardes. A l’usine, on vous fait trimer à en crever, à la Bourse du travail, on vous engourdit à en crever avec de belles phrases, et les assurances sociales et les contributions vous pompent les sous de votre paie et vous vident à en crever. »
Samedi soir, dimanche matin, Alan Sillitoe, Editions de L’Echappée, Collection Lampe-tempête, 288 pages, 20 €
Billy le Menteur, Keith Waterhouse, Les Editions du Typhon, 248 pages, 17 €
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