22/11/21

« Agir par nous-mêmes »

Entretien d'Éric Sadin, auteur de Faire sécession. Une politique de nous-mêmes, avec Dominique Martinez dans La Nouvelle Vie ouvrière (novembre).

Un an après L'Ère de l’individu tyran, où le philosophe et écrivain Éric Sadin faisait le constat d’une crispation et d’une atomisation croissantes de la société, il revient avec Faire sécession. Une politique de nous-mêmes, distinguant là nos réelles perspectives d’émancipation.

Qu'est-ce qui vous a donné envie d'écrire ce livre ?
Ce livre fait suite au constat opéré dans L'Ère de l’individu tyran. À savoir, qu'après les désillusions successives relatives à l'ordre politique et économique en place, est survenue une rupture qui se manifeste par un effacement de toute adhésion à un ordre général ou à quelque récit que ce soit. Cela s'entrecroise avec l'usage des technologies numériques qui nous ont donné l'illusion d'être plus indépendants et de construire notre vie de façon plus maîtrisée, alors que ces usages n'ont fait qu'aggraver notre état d'isolement collectif. Lequel a neutralisé toute velléité de construction politique collective. Une fois établi ce diagnostic d'un monde désorienté en proie à une situation chaotique, je ne pouvais pas en rester là.

Quelques mois après les confinements induits par la pandémie, vous décrivez une cartographie sociale redéfinie selon trois catégories distinctes et étanches. Lesquelles ?
La crise du Covid et les confinements ont entraîné une rupture dans les mondes du travail, de l'enseignement, de la consultation médicale, de l'accès à la culture... Dans tous ces domaines, quantité d'actions ont pu être menées à distance, faisant émerger ce que je nomme une "télésocialité généralisée". Se dessine dès lors une société en silos faite de trois ensembles distincts. D'abord, le groupe des très aisés, qui s'accommodent sans peine du distanciel et naviguent entre ville et campagne ; ils consomment des biens qu'ils acquièrent sur les plateformes numériques aussi bien que sur les marchés bio, tout en se plaignant sur Twitter de l'inaction des responsables politiques en matière d'écologie ! Il y a ensuite le groupe de ceux qui doivent, tant bien que mal, s'accommoder de la nouvelle formule hybride, faite de présentiel et de distanciel, pour gérer leur lot d'activités dont une partie empiète d'ailleurs sur les espaces domestiques, tandis qu'à l'autre bout de la chaîne, des systèmes quantifient leurs pratiques. [...] Enfin, le troisième ensemble est composé de tous ceux qui n'ont d'autre choix que d'aller travailler sur place en endurant des trajets quotidiens à rallonge et des conditions harassantes, auxquels il faut ajouter les hordes d'invisibles soumis aux mêmes contraintes, mais qui s'activent dans le back-office pour faire tourner le monde de la logistiques intégrale. [...]

Pour lire la suite de l'entretien : https://nvo.fr/nvo-mag/?num=54286/

Éric Sadin